Voir les dislocations¶
Depuis les années 50, les physiciens ont accumulé un grand nombre de preuves que les dislocations existaient. De nombreuses méthodes ont été mises au point dans le but de les observer.
C’est véritablement vers la fin des années 50 et avec les progrès substantiels de la microscopie électronique que les dislocations ont pu largement être étudiées. Il est étonnant de voir qu’il ait fallu plus de 20 ans entre la conception théorique et l’observation des dislocations. Attardons nous quelques instants sur le fonctionnement d’un microscope à électrons. Dans la suite, nous parlerons uniquement d’un mode de fonctionnement de ce microscope appelé mode en transmission, qui est analogue à celui d’un microscope optique classique.
Un microscope électronique est composé d’une source d’électrons (équivalente au canon à électrons de votre téléviseur), de lentilles magnétiques qui les dirigent et permettent entre autres d’agrandir l’image d’une partie d’un échantillon.

Les lentilles jouent le même rôle que les lentilles en verre. En effet, le champ magnétique créé par la circulation d’un courant variable dans une bobine de cuivre dévie les électrons et leur impose une trajectoire convergente ou divergente.
Le rôle de la source est de fournir un faisceau d’électrons accéléré par une tension adéquate généralement de l’ordre de 200 à 300000 Volts.
Le faisceau d’électrons jouent ici le même rôle que le faisceau lumineux dans un microscope optique et ceci parce que les électrons peuvent être considérés comme des ondes. En effet, en 1923, Louis De Broglie a postulé que l’on pouvait concevoir les électrons comme des ondes de matière dont la longueur d’onde était beaucoup plus petite que celle de la lumière blanche (par analogie, la longueur d’onde est la distance entre deux crêtes ou deux creux d’une vague sur l’eau). Du même coup, De Broglie fondait une nouvelle physique des « objets et phénomènes à l’échelle microscopique : la mécanique quantique ». En 1927, Davisson et Germer confirmaient alors cette prédiction en montrant que les électrons diffractent comme les ondes (c’est le même phénomène qui se produit lorsqu’une vague rencontre un obstacle de la taille de la longueur d’onde).
L’originalité du microscope électronique est d’obtenir des images dont la résolution est largement supérieure à un microscope classique. En effet la résolution maximum est donnée par la relation d=0.6 \lambda / \sin \alpha, où \alpha est l’angle maximum d’ouverture et \lambda la longueur d’onde. On pourrait s’attendre à ce que la limite de résolution soit comparable à la longueur d’onde électronique, mais elle est de l’ordre de du dixième de nanomètre. Cet écart provient du fait de la faible valeur de l’angle maximum capté par l’objectif (et ce en raison des fortes aberrations sphériques des lentilles magnétiques).
Un autre point important : comme les électrons sont aussi des particules chargées et massives, elles interagissent assez fortement avec la matière. Il est alors nécessaire d’une part de placer l’ensemble du dispositif dans un vide poussé et d’autre part de préparer des échantillons suffisamment fins pour que les électrons puissent le traverser (assez) facilement. Il est maintenant possible d’amincir des échantillons métalliques d’épaisseur finale avoisinant le dixième de micromètre. Pour cela on peut bombarder par exemple une surface avec un jet d’ions qui arrache de la matière. Lorsque qu’un trou se forme, l’épaisseur est suffisamment faible sur les bords pour que l’échantillon puisse être observé.

Trou à bords minces, cliché de microscopie optique, CEMES
Une fois que les électrons ont traversé l’échantillon et les diverses lentilles, une image est observée sur un écran fluorescent. Mais quel est le rapport entre l’image et l’échantillon ? Dans un microscope optique, cette question ne se pose pas car la lumière est plus ou moins absorbée selon les variations d’opacité de l’objet. Dans le microscope électronique, les électrons ne sont pas absorbés. D’où vient le contraste alors ?
Si les électrons ne sont pas absorbés, un certain nombre est dévié. On utilise alors un diaphragme pour créer le contraste en éliminant ou en sélectionnant les électrons diffractés.
Dans le cristal parfait, les électrons ne se trouvent déviés que dans certaines conditions où les plans atomiques forment un angle particulier avec le faisceau d’électrons. Il s’agit des conditions de Bragg, appelées ainsi en l’honneur des physiciens anglais ayant étudiés les lois de la diffraction des électrons sur un cristal. La loi de diffraction de Bragg nous dit en termes plus mathématiques que les électrons sont déviés dans une direction repérée par un angle \theta_b lorsque la relation suivante est vérifiée :
avec a le paramètre de maille du réseau, \lambda la longueur d’onde et n un entier. Lorsque l’on se trouve en dehors de cette condition, les électrons traversent le cristal sans être déviés et l’image apparaît claire et uniforme. Voyons ce qu’il advient si l’on se trouve proche de la condition de Bragg et qu’une dislocation soit présente dans le cristal. Rappelez-vous comment les plans sont déformés au voisinage du cœur d’une dislocation coin. Ainsi, localement le long de la ligne de dislocation les plans atomiques vont être en position de Bragg et par conséquent les électrons vont être déviés de leur trajectoire. La dislocation apparaît alors comme une fine ligne sombre sur un fond clair.
Les dislocations apparaissent souvent en microscopie comme des segments plus ou moins rectilignes émergeant sur les deux surfaces de l’échantillon. En prenant deux images légèrement inclinés l’une par rapport à l’autre, on peut voir par effet stéréoscopique toute la profondeur de l’échantillon et les dislocations se chevauchant. Pour cela fixer le centre de l’image suivante et en louchant superposer les deux clichés (le mieux est d’essayer de superposer les deux précipités noirs). Avec un peu d’entraînement, vous arriverez à reconstituer le relief !

Cliché U. Messerschmidt, Halle
Enfin, dans les séquences présentées, on voit les dislocations se déplacer en temps réel dans le microscope. Ceci est possible grâce à une technique particulière appelée microscopie in situ qui permet d’appliquer une contrainte sur un échantillon dans le porte objet (et en température). Pour cela, on prépare un échantillon rectangulaire que l’on accroche à deux mors dans un porte échantillon spécial. Comme l’un des mors est mobile, il est facile de « tractionner » cet échantillon et d’observer dans les parties minces comment le matériau se déforme.

Porte Objet de traction haute température, CEMES