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Les matières plastiques

Ce texte est paru dans la rubrique Bac to Basics du magazine La Recherche Novembre 2006, p75. Il a été écrit en collaboration avec Christian Gondard, responsable scientifique à l'Institut de Plasturgie d'Alençon.

Polyéthylène, polypropylène, polystyrène… autant de noms pour désigner ce que l’on appelle simplement des matières plastiques. Déclinables en d’innombrables variantes et utilisées en masse, elles sont plus que jamais les champions des matériaux ! L’enjeu de demain: mieux les recycler.

Illustration La Recherche

Qu’est-ce qu’une matière plastique ?

Un matériau est dit « plastique » s’il peut être déformé à une température relativement basse pour prendre une forme désirée. Contrairement à l’acier, chauffé à 1500 °C pour être mis en forme, la plupart des matières plastiques sont ainsi malléables en dessous de 200 °C. En les moulant ou en les effilant, elles peuvent prendre quasiment toutes les formes possibles. Cette propriété est à l’origine de leur succès dans le domaine des emballages ou de l’industrie automobile, par exemple. Quelques matières plastiques existent à l’état naturel, tel le caoutchouc ou la cellulose des plantes, mais le terme désigne surtout les produits de synthèse dérivés du pétrole. En ajoutant différentes substances, comme des colorants ou des molécules ignifugeantes, ces produits sont à l’origine d’objets aussi divers que des sacs « plastiques » (polyéthylène), des boîtes de CD (polystyrène), des bouteilles de shampoing (polychlorure de vinyle ou PVC), des colles (résines époxy, cyanoacrylate ou super glue), des peintures (acryliques) ou des fibres synthétiques (nylon, polyester).

Depuis quand s’en sert-on ?

Il y a plus de 2000 ans, les Mayas sont vraisemblablement les premiers à utiliser les propriétés du caoutchouc naturel pour mettre en forme des objets simples, comme des balles ou des sandales. Ce caoutchouc provient de la coagulation de la sève extraite de plusieurs arbres, principalement de l’hévéa. En 1839, l’inventeur américain Charles Goodyear développe un procédé industriel permettant de transformer le caoutchouc naturel en une matière plus élastique et plus résistante : c’est la « vulcanisation », qui s’effectue en présence de soufre et à température élevée. Des procédés utilisant une autre substance naturelle, la cellulose, seront mis au point vers la fin du XIXe siècle, afin de mimer les propriétés mécaniques de matériaux rares, tels que l’ivoire et la soie.

C’est en cherchant un produit de substitution aux bois exotiques, également en raréfaction, que le chimiste belge Leo Baekeland élabore en 1907 la première matière plastique totalement synthétique. Elle est fabriquée à partir d’une résine liquide, qui durcit rapidement en prenant la forme de son contenant. Baptisé « bakélite », ce matériau conserve sa forme, mais il ne peut être fondu pour être remodelé. Une vingtaine d’années plus tard, l’industrie plastique connaît un formidable essor grâce à la découverte de matières plastiques bon marché et faciles à utiliser, comme le polyéthylène, le polychlorure de vinyle ou le polypropylène. Aujourd’hui, près de 5 millions de tonnes de matières plastiques sont consommées en France chaque année.

De quoi sont-elles faites ?

De molécules géantes, les polymères, dont la longueur peut atteindre plusieurs micromètres ! Ces macromolécules sont composées d’une succession de petites molécules identiques appelées « monomères ». Le polyéthylène, par exemple, est constitué d’un enchaînement de molécules d’éthylène (C_2H_4). La « colonne vertébrale » de ces chaînes de polymères est formée d’atomes de carbone. Ils sont eux-mêmes liés à des groupements chimiques latéraux riches en carbone et en hydrogène, atomes de petite taille. C’est la raison pour laquelle les matières plastiques sont des matériaux légers. Les groupements latéraux peuvent aussi être composés de chlore (PVC), de soufre (caoutchouc vulcanisé), d’oxygène (polyesters) ou d’azote (nylon). Lorsque les atomes de carbone de ces groupements sont remplacés par du silicium ou du phosphore, on obtient des matières plastiques inorganiques, tel le silicone.

Une réaction chimique appelée « polymérisation » permet aux monomères de se lier de façon linéaire. Des réactions « parasites », souvent inévitables mais néanmoins maîtrisables, provoquent le greffage d’une chaîne sur une autre : on obtient des polymères ramifiés. Généralement flexibles, les chaînes ont alors tendance à se replier en raison des forces intramoléculaires. Les chaînes s’ordonnent d’autant mieux qu’elles sont linéaires, et que les groupements latéraux se répartissent uniformément autour de la colonne vertébrale. En outre, sous l’effet de forces intermoléculaires cette fois, les chaînes de polymères s’empilent les unes sur les autres. On dit qu’elles « cristallisent ». Dans le nylon, par exemple, les liaisons hydrogènes 1 qui se forment entre des groupements latéraux de deux chaînes adjacentes forcent les polymères à s’ordonner. Mais les chaînes de polymères ne cristallisent jamais parfaitement. On obtient ainsi un matériau semi-cristallin, tel le polypropylène, constitué de milliers de petits cristaux appelés « cristallites ». Les parties cristallines sont séparées par des zones « amorphes », où les chaînes ne sont pas repliées.

Lorsque l’intensité des forces intermoléculaires n’est pas assez grande pour entraîner l’empilement des chaînes de polymères, celles-ci s’enchevêtrent, formant une sorte de pelote : le matériau est alors totalement amorphe, comme le polystyrène dit « atactique » par exemple. C’est le cas des polymères ramifiés, dont les chaînes sont particulièrement rigides. L’état amorphe étant moins dense que l’état semi-cristallin, la densité d’un polymère ramifié sera donc moins grande que celle de son équivalent linéaire. Il existe ainsi des polyéthylènes dits de « basse densité » (films alimentaires) et de « haute densité » (bidons d’huile, d’eau, etc.).

Peut-on se passer de pétrole pour fabriquer des matières plastiques ?

La quasi-totalité des matières plastiques est fabriquée à partir d’une fraction de pétrole distillé appelée « naphta », d’où l’on extrait les différents monomères par craquage2. Bien que l’industrie plastique ne consomme qu’environ 2% de la production mondiale de pétrole, l’utilisation des ressources naturelles, comme la biomasse ou les sources organiques de méthane, constitue une alternative à l’utilisation de cette énergie fossile. L’acide polylactique peut ainsi être produit à partir d’acide lactique extrait de la fermentation de sous-produits agricoles riches en amidon. On peut également espérer produire de nombreux « bioplastiques » à partir de cellulose, d’huiles végétales et même de la caséine du lait.

Comment réagissent-elles à la chaleur ?

Mal, en général, car les liaisons intra- et intermoléculaires qui assurent la cohésion des matières plastiques se brisent facilement sous l’effet de la température. Considérons une matière plastique amorphe. À basse température, les chaînes se déplacent peu : elles sont enchevêtrées, et les forces intermoléculaires participent à la cohésion du système. Au-dessus d’une température dite de « transition vitreuse », les chaînes se déplacent plus librement, car ces forces ont disparu. On obtient une matière plastique molle, qui devient de plus en plus fluide à mesure que la température augmente. En fait, le matériau se comporte comme un plat de spaghettis : chauds, ils glissent les uns sur les autres ; froids, les spaghettis sont enchevêtrés, comme dans une pelote de laine.

La température de transition vitreuse varie beaucoup d’un matériau à l’autre, et dépend surtout de la longueur des chaînes : plus elles sont longues, plus elles s’enchevêtrent facilement, et plus la température de transition vitreuse est grande. Ainsi, alors que le polyéthylène de basse densité est flexible à température ambiante (sa température de transition vitreuse est de -100°C), le polycarbonate reste dur jusqu’à 150°C. Les polymères semi-cristallins résistent encore mieux à la chaleur, car de l’énergie est nécessaire pour briser l’ordre des zones cristallines. Ils « coulent » donc à une température plus élevée que la plupart des matières plastiques. Le polyétheréthercétone (PEEK), par exemple, fond à la température record de 370°C. Ces matériaux « thermoplastiques » peuvent être ramollis puis refroidis avant d’être mis en forme.

D’autres matières plastiques appelées « élastomères réticulés » (caoutchouc vulcanisé) et « thermodurcissables » (bakélite, résines époxy) se comportent différemment. Sous l’effet de la chaleur, des liaisons chimiques permanentes se forment entre les chaînes de polymères, et le matériau dans son ensemble constitue une seule molécule. La vulcanisation du caoutchouc naturel entraîne par exemple la formation de liaisons soufrées entre des chaînes de polymères d’isoprène. Le matériau perd alors sa viscosité. Il ne peut plus être fondu, et il n’est plus possible de le remettre en forme.

Pourquoi certaines matières plastiques ne se déforment-elles pas ?

Parce que leurs chaînes de polymères ne peuvent pas se déplacer. Lorsqu’on tente de les déformer, ces matériaux se brisent brutalement à l’endroit où la contrainte mécanique est suffisamment forte pour rompre les liaisons intermoléculaires. C’est le cas des « thermoplastiques » en dessous de leur température de transition vitreuse : les chaînes sont trop enchevêtrées, et les forces intermoléculaires trop importantes pour déformer le matériau. Au-dessus de cette température, le mouvement des chaînes se fait plus facilement, car les liaisons intermoléculaires sont rompues par l’agitation thermique. Sous l’effet d’une contrainte, les chaînes commencent par se déplier avant de glisser les unes sur les autres. Puisque les chaînes ont tendance à se pelotonner en raison des forces intramoléculaires, l’élasticité du matériau est grande. Dans les matières plastiques semi-cristallines, les liaisons intermoléculaires sont très fortes et très nombreuses au niveau des zones cristallisées. Ces matériaux sont d’autant plus durs et cassants que la fraction de polymères cristallisés est grande. En outre, lorsque les chaînes cristallisent en s’orientant de façon parallèle, le matériau est particulièrement résistant dans la direction des chaînes, car les liaisons le long de la colonne vertébrale du polymère sont beaucoup plus solides. Cette propriété peut être accentuée en filant le matériau dans la direction des chaînes. En effet, celles qui sont repliées dans les régions amorphes ont alors tendance à s’étirer. C’est la raison pour laquelle on utilise généralement des fibres pour fabriquer des cordes. Dans les polymères à cristaux liquides, tel le Kevlar, les chaînes polymères s’orientent parallèlement avant de se solidifier. Ces fibres sont encore plus résistantes que l’acier ! Les liaisons entre les chaînes des élastomères réticulés sont elles aussi très solides, et procurent au matériau une grande élasticité. Lorsque ces chaînes sont déformées, elles se déplient, mais ne glissent pas les unes sur les autres. Au moment où la contrainte est relâchée, les chaînes se pelotonnent, et reprennent instantanément leur forme d’origine. Les thermodurcissables sont quant à eux beaucoup plus réticulés : ils forment un maillage serré, qu’il est difficile de déformer sans rompre les liaisons entre les chaînes. Ces matériaux sont extrêmement durs et cassants.

Pourquoi certaines matières plastiques sont-elles transparentes ?

Une matière plastique est transparente si elle est amorphe, car les rayons lumineux la traversent sans être diffractés. Une matière plastique semi-cristalline est quant à elle opaque, parce que les milliers de cristallites qui la composent diffractent la lumière. Un phénomène similaire se produit lorsque les cristaux de glace s’entassent pour former une couverture neigeuse opaque. En réduisant la taille des cristallites en dessous d’une longueur critique pour laquelle la lumière visible n’est plus diffractée, on obtient des matières plastiques transparentes possédant la résistance des polymères cristallisés. Les emballages en polyéthylène dit « métallocène » sont ainsi transparents, rigides et résistants à la chaleur.

Peuvent-elles conduirent le courant électrique ?

La grande majorité des matières plastiques sont de très bons isolants, car les électrons sont fortement liés aux atomes qui constituent les polymères : ils ne peuvent pas se déplacer sous l’effet d’une tension électrique. Certains polymères arrivent toutefois à « imiter » les propriétés des métaux, dans lesquels des électrons se déplacent librement. Pour cela, la colonne vertébrale des polymères doit être constituée alternativement de liaisons chimiques « simples » et « doubles » entre les atomes de carbone. Les liaisons simples sont formées d’une paire d’électrons ; les doubles, de deux. Le polyacétylène possède une telle colonne vertébrale, et conduit le courant électrique. La conductivité de ce polymère reste faible, mais elle peut être considérablement augmentée par une réaction d’oxydoréduction appelée « dopage ». En faisant réagir le matériau avec de l’iode notamment, des charges électriques apparaissent. Les électrons supplémentaires ont la particularité de pouvoir se déplacer le long de la molécule, qui devient capable de conduire le courant. L’Américain Alan Heeger, le Néo-zélandais Alan MacDiarmid et le Japonais Hideki Shirakawa, qui ont découvert ce phénomène, ont été récompensés par le prix Nobel de chimie en 2000.

D’autres polymères, comme la polyaniline par exemple, présentent des propriétés électriques qui sont encore plus proches de celles des métaux 3. L’idée de combiner les avantages des matières plastiques (moulage, légèreté) avec la conductivité des métaux a suscité une intense activité de recherche. Les travaux se concentrent aujourd’hui sur l’émission de lumière lorsque certains polymères conducteurs sont soumis à une tension électrique. Les premières diodes électroluminescentes organiques faites de plastiques équipent déjà des écrans plats, que l’on imagine bientôt flexibles. En outre, puisqu’un courant électrique peut être produit par l’absorption de lumière, un nouveau type de panneaux solaires faciles à fabriquer et que l’on pourrait dérouler sur de larges surfaces pourrait également voir le jour.

Les matières plastiques se dégradent-elles ?

Elles « vieillissent » sous l’action combinée du rayonnement ultraviolet, de la chaleur et de l’oxygène de l’air, qui détruisent les liaisons chimiques au sein des polymères. Ces processus sont néanmoins lents, et les matières plastiques se dégradent très peu en milieu naturel. Elles finissent par se fragmenter en chaînes de plus petites tailles, mais même si un sac plastique « disparaît » au bout de 10 à 20 ans, le sol portera les traces de cette dégradation pendant plusieurs décennies. Il existe aussi des matières plastiques biodégradables, dont l’emploi à usage temporaire en agriculture (pour le paillage) ou en médecine (sutures, seringues jetables) est écologiquement intéressant. Par exemple, l’acide polylactique est dégradé par les enzymes des micro-organismes présents dans le sol. En outre, selon une étude récente, la « pourriture blanche », un champignon qui s’attaque à la lignine, molécule qui donne sa rigidité au bois, pourrait dégrader un type de colle couramment utilisé (résines phénoliques) 4.

Comment les recycle-t-on ?

Les thermoplastiques peuvent être fondus et remis en forme pour des applications non alimentaires (tapis, rembourrage, vêtements), ou incinérés afin de produire de l’énergie. Les thermodurcissables et les élastomères réticulés, qui ne peuvent pas être fondus, peuvent quant à eux être broyés mécaniquement. On les ajoute ensuite aux thermoplastiques, pour produire des matériaux composites plus durs ou plus élastiques. En fait, toutes les matières plastiques sont recyclables, mais le taux de recyclage, 20% en France, demeure bien en dessous de celui du verre (73%) et du papier (54%).

Le principal obstacle provient de la difficulté de trier de façon automatique des matériaux très variés. Ainsi, les objets contenant un trop grand nombre de matières plastiques ou de mélanges de polymères sont quasiment impossibles à recycler. Depuis les années 1990, certains secteurs industriels (l’emballage, l’automobile) se sont engagés à utiliser davantage de thermoplastiques simples et recyclables. Dans de nombreux pays, des programmes de tri sélectif, de collecte et de recyclage ont également été mis en place. En France, depuis 1992, la majorité des industries plastiques délèguent le recyclage de leurs produits aux sociétés Eco-emballages et Valorplast. Elles organisent et financent la majorité de la collecte des emballages ménagers, et assurent des débouchés aux emballages triés. Cependant, pour le long terme, la meilleure stratégie consiste à favoriser les produits réutilisables et à allonger leur durée de vie.

Sont-elles dangereuses pour la santé ?

Quasiment inertes d’un point de vue chimique, les matières plastiques présentent peu de risques pour le consommateur. Elles constituent même une protection efficace contre la dégradation de produits sensibles comme le lait, les légumes ou la viande. Des emballages, comme les fameuses « Tetra-Brick », possèdent ainsi plusieurs couches de polymères différents, qui servent à protéger le produit de l’air et de la lumière. Certains polymères contenant du chlore ou du benzène peuvent toutefois se révéler cancérigènes et polluants s’ils sont relâchés dans l’environnement par combustion ou dégradation. D’autres produits employés comme plastifiant et contenant des phtalates, molécule organique produite à environ 3 millions de tonnes par an dans le monde, sont eux aussi particulièrement surveillés.

Pour en savoir plus


  1. Une liaison hydrogène est une liaison chimique d’origine électrostatique, de faible intensité, qui se forme généralement entre des atomes d’hydrogène (électropositifs) et des atomes d’oxygène ou d’azote (électronégatifs). 

  2. Le craquage est une opération réalisée en raffinerie qui consiste à casser une molécule organique complexe en molécules plus petites. 

  3. Kwanghee Lee, Shinuk Cho, Sung Heum Park, A. J. Heeger, Chan-Woo Lee, Suck-Hyun Lee, Metallic Transport in polyaniline, Nature, 441, 4 mai 2006, et La Recherche n°399 (juillet-août 2006). 

  4. Gusse A.C., Miller P.D. et Volk T.J. White-Rot Fungi Demonstrate First Biodegradation of Phenolic Resin, Environ. Sci. Technol., 24 mai 2006, en ligne, et Fungis eats enduring plastic, Helen Pearson, News@Nature, 5 juin 2006.