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Elasticité et plasticité

Les métaux se déforment différemment en fonction de la contrainte qui leur est appliquée. Il existe deux régimes : le régime élastique et le régime plastique.

Elasticité

Les solides élastiques ont la particularité de se déformer de façon réversible. Prenons l’exemple d’une déformation uniaxiale d’une éprouvette cylindrique soumis à la force F. On définit la déformation \epsilon, comme étant la variation de sa longueur \Delta L dans une direction donnée, rapportée à la longueur initiale de l’éprouvette L, ce qui donne en termes mathématiques : \epsilon = \Delta L / L

On conçoit aisément que plus la force appliquée est grande et plus l’éprouvette va s’allonger. Toutefois cela dépend évidemment de sa section : il est plus facile de tordre une petite cuillère qu’un rail ! C’est pourquoi on rapporte toujours cette force par unité de surface. On parle alors de contrainte (\sigma = F/S) ou pour parler plus clairement de pression. La force, c'est la pression multipliée par la surface en contact. Vous comprenez maintenant pourquoi les fenêtres des hublots sont petites !

Une autre remarque semble également évidente : les matériaux sont plus ou moins « rigides ». Tirer sur un élastique est plus facile que d’étirer un fil de fer (de même section) ! Quelle relation existe t-il entre l’allongement et la contrainte ?

Le premier qui s’est vraiment intéressé à la chose était l’anglais Hooke (1635-1702). Ne disposant pas des machines de traction de Hooke qui déformait des métaux, je vous propose de faire l’expérience suivante : prenez un élastique (ou un petit ressort) dont vous mesurer la longueur initiale. Suspendez-le à un poids fixe (pourquoi pas des petites cuillères !) et mesurer son allongement (relatif). Recommencez avec deux, trois… fois le même poids et mesurer à chaque fois l’allongement. Reportez l’allongement en fonction du poids. On obtient une magnifique droite indiquant que l’allongement est proportionnel au poids, c'est-à-dire la force appliquée.

Nous avons établi ici la loi de Hooke, et que l’on écrit en terme mathématique :

\sigma=C \epsilon

C appelée constante d’élasticité décrit la « raideur » du matériau. Dans le cas d’un élastique, cette constante est faible, est un allongement de plus de 100% est facile à atteindre.

Comment les métaux et les alliages se déforment élastiquement ?

Contrairement aux élastiques qui se composent de longues molécules (des polymères) qui peuvent facilement s’étirer, les cristaux sont des solides beaucoup plus rigides. Ils sont composés d’atomes liés fortement les uns aux autres. Lorsque l’on déforme un cristal, on « distend » les liaisons entre les atomes (on peut imaginer que ces liaisons se comportent comme des ressorts microscopiques).

Image simpliste d’un cristal de sel ; en rouge les atomes de sodium, en bleu les atomes de chlore

Lorsque les déformations sont raisonnables (de l’ordre de quelques pourcents), la déformation est linéaire et obéit à la loi de Hooke. La constante d’élasticité est de l’ordre de 30 à 300GPa, soit l’équivalent de 3 à 30 tonnes/mm^2. Dans les conditions de déformation uniaxiale, la traction ou compression dans la direction longitudinale introduit une déformation latérale de l’échantillon, et s’accompagne d’un changement de volume (sauf pour le caoutchouc qui change de forme sans changer de volume). En général, une traction longitudinale entraîne une contraction latérale de l’éprouvette, sauf dans le cas de certains matériaux comme le chrome ou la pyrite.

Jusqu’à présent, nous avons parlé uniquement d’une déformation selon une direction particulière. Lorsque la direction est quelconque, la loi de Hooke est un peu plus complexe. Elle dépend d’une part de «l’état » de la contrainte et de l’isotropie du matériau. La figure ci-dessous évoque quelques états de contrainte familiers : contrainte biaxiale, de pression hydrostatique (c’est la contrainte subie par un plongeur par exemple), ou de cission pure.

© Mécanique des milieux continus, J. Douin

un cristal isotrope à gauche et fortement anisotrope à droite

En général, les propriétés élastiques dépendent de l’orientation du matériau par rapport à la contrainte, car les liaisons entre les atomes ne sont pas forcément équivalente : on dit qu’un matériau n’est pas isotrope.

Plasticité

Prenons une éprouvette cylindrique métallique et déformons-la en imposant une vitesse de déformation constante. Si l’on reste dans le domaine élastique, le relâchement de la contrainte rétablit la forme initiale de l’éprouvette. On dit que la transformation est réversible. La courbe de la contrainte (force ramenée à la surface de la section de l’éprouvette) en fonction de la déformation (pourcentage d’allongement dans la direction de traction) est linéaire et réversible (c’est la loi de Hooke).

© Mécanique des milieux continus, J. Douin

Au-delà de la limite d’élasticité (en général plusieurs tonnes par cm²), les matériaux ductiles (par opposition à fragiles) continuent de se déformer, mais la contrainte croît moins vite pour assurer une vitesse de déformation constante. Cependant cette déformation n’est pas réversible et un allongement résiduel subsiste après la suppression de la contrainte. On parle de déformation plastique. Toutefois, comme la décharge de l’éprouvette s’effectue réversiblement, la limite d’élasticité augmente lors d’une nouvelle déformation. Le matériau s’est durci. Les mécanismes de durcissement seront étudiés dans la suite.

Lorsque la déformation augmente encore, la contrainte nécessaire d’une part augmente à cause du durcissement, mais d’autre part l’échantillon s’affaiblit car sa section diminue. On parle d’un phénomène de striction. Il arrive un moment où les deux effets se compensent, et aucune force supplémentaire n’est nécessaire pour maintenir la déformation. Ceci conduit irrémédiablement à la rupture de l’échantillon.

Performance mécanique

Mais que signifie qu’un métal soit «solide » (strong) ? Pour cela il faut distinguer deux notions : la résistance à une contrainte (strength), et la ténacité (toughness). La résistance correspond à la force par unité de surface nécessaire pour rompre un matériau. A elle seule cette notion ne décrit pas vraiment comment un matériau se déforme. On fait appelle à la notion de « module » pour décrire sa résistance à la déformation. Il s’agit simplement du rapport entre la contrainte appliquée et l’élongation. Un matériau mou aura donc un faible module. Les matériaux « durs » à l’inverse ont de grands modules, et ne se déforment plastiquement que pour des valeurs de contrainte élevées. La limite élastique est la valeur seuil pour laquelle on atteint le régime plastique. La valeur de ce module n’est cependant pas constante au cours de la déformation (sauf dans le domaine élastique). Si un matériau se rompt sans s’être beaucoup déformé, peut-on dire qu’il est solide ? Pas vraiment, on dit même qu’il est fragile et que la déformation se fait brutalement sans signe précurseur. Un matériau « solide » sera donc un matériau capable de se déformer le plus possible sans se rompre à des niveaux de contrainte élevés. Pour cela on fait appelle à la notion de ténacité. Physiquement elle correspond à la quantité d’énergie nécessaire à apporter pour rompre le matériau. Graphiquement, il s’agit de l’aire sous la courbe contrainte/déformation. Ainsi, un matériau ayant un grand module n’est pas très tenace : il suffit d’apporter une contrainte très grande et brève pour le briser (matériau fragile). De même un matériau ayant un faible module n’est pas très tenace : une contrainte faible suffit à le rompre après qu’il se soit fortement déformer (matériau mou). Un métal performant se doit donc d’être tenace avant tout !

Pour aller plus loin…

Elasticité

Lorsqu’on exerce une force dans une direction quelconque sur un solide homogène, il est commode de décrire les contraintes agissant sur lui en terme de contraintes de compression (ou traction) et de contrainte de cisaillement. Prenons par exemple le cas simple d’un cristal cubique et isotrope. Sur chacune des faces, on peut définir trois contraintes : une contrainte de compression (ou traction) perpendiculaire à la face et deux contraintes de cisaillement parallèles aux arêtes. Pour noter ces contraintes, on utilise deux indices : le premier indique la direction de la force dans le repère (X_1, X_2, X_3) et le second désigne le « numéro » de la face sur laquelle la force s’applique.

Comme il y a huit faces, il devrait il y avoir 18 contraintes différentes. En réalité pour des raisons d’équilibre, on peut réduire ce nombre à 6 grandeurs indépendantes (\sigma_{ij}=\sigma_{-i-j} et \sigma_{ij}=\sigma_{ji}). On peut ranger ces contraintes dans un tableau :

\overline{\overline{\sigma}}=\left(\begin{matrix} \sigma_{11} & \sigma_{12} & \sigma_{13} \\ \sigma_{12} & \sigma_{22} & \sigma_{23} \\ \sigma_{13} & \sigma_{23} & \sigma_{33}\end{matrix}\right)

On obtient ce que l’on appelle le « tenseur des contraintes ». La force s’exerçant sur le solide est par conséquent :

\vec{F}=\overline{\overline{\sigma}} \cdot \vec{S}

C’est-à-dire :

F_i=\sigma_{i1}S_1+ \sigma_{i2}S_2+\sigma_{i3}S_3

Pour une contrainte uniaxiale perpendiculairement à la face 1, le tenseur des contraintes se réduit à \sigma_{11}. Pour la pression hydrostatique, on a \sigma_{11}= \sigma_{22}= \sigma_{33}=p et les autres termes nuls. Dans le cas d’un cisaillement pur, le tenseur se met sous la forme :

\overline{\overline{\sigma}}=\left( \begin{matrix} 0 & \sigma & 0 \\ \sigma & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 0 \end{matrix} \right)

© Mécanique des milieux continus, J. Douin

Sous l’effet de la contrainte, deux points proches donnés à l’intérieur du solide homogène se déplacent d’une quantité d\vec{u}. Ce déplacement peut s’écrire en considérant de la même façon une relation tensorielle du type :

d\vec{u}=\left( \overline{\overline{\epsilon}}+ \overline{\overline{\pi}} \right) d\vec{X}

Le tenseur \overline{\overline{\epsilon}} est appelé le tenseur de déformation et représente les changements de dimensions du solide. Le second tenseur représente une rotation d’ensemble du solide. La loi de Hooke généralisée qui relie la contrainte et la déformation s’exprime donc sous la forme tensorielle :

\overline{\overline{\sigma}}=\overline{\overline{C}} \cdot \overline{\overline{\epsilon}}

\overline{\overline{C}} est le tenseur des constantes élastiques.

Dans le cas d’un solide homogène et isotrope, cette relation se simplifie en introduisant ce que l’on appelle les coefficients de Lamé \lambda et \mu:

\sigma_{ij}=2\mu \epsilon_{ij} + \lambda \delta_{ij} \delta

Avec \delta_{ij}=0 si i \neq j et =1 si i=j, et

\delta = \sum \epsilon_{ii}

qui est la somme des élongations, représente la dilatation. Dans le cas d’une traction uniaxiale, on obtient simplement:

\sigma_{11}=E \epsilon_{11}

avec E= \mu (3\lambda+2\mu)/(\lambda + \mu)

E est appelé le module d’Young. C’est la constante de proportionnalité entre la contrainte et l’allongement.

Pour finir, considérons le cas d’un cisaillement simple :

Mécanique des mileux continus, J. Douin

Si la déformation est petite, on peut écrire le déplacement du cube dans la direction X_1 à la hauteur X_2 :

u_1=\gamma x_2

\gamma est appelé le cisaillement. Il est facile d’écrire la déformation \epsilon_{12} et la contrainte \sigma_{12}=2\mu \epsilon_{12}:

\sigma_{12}=\mu \gamma

Essais mécaniques

La plupart des essais mécaniques s’effectuent dans les conditions de contrainte uniaxiale en traction ou en compression. Il est en effet nécessaire de se placer dans des conditions de contraintes suffisamment simples pour pouvoir analyser les mécanismes élémentaires à l’échelle microscopique comme nous le verrons par la suite.

Jusque là nous avons parlé d’essais de traction ou compression à vitesse constante. Ils sont réalisés en déplaçant une traverse solidaire d’une extrémité de l’échantillon (l’autre étant solidaire de la machine de traction) à vitesse constante, et en enregistrant par des capteurs les contraintes engendrées au niveau de l’échantillon.

Les courbes de traction typique ressemblent aux courbes suivantes :

Mécanique des mileux continus, J. Douin

La courbe de gauche correspond à celle d’un matériau mou (limite d’élasticité faible) et qui se déforment donc beaucoup (par exemple l’aluminium). Les matériaux plus durs (comme le fer et les aciers) se durcissent rapidement et ont un domaine plastique court. Certains matériaux comme les céramiques ou les semi-conducteurs sont si fragiles à température ambiante qu’ils rompent avant le maximum de la courbe de traction sans striction : on parle alors de rupture fragile.

Mécanique des mileux continus, J. Douin

Un autre type d’essai, appelé essai de fluage, consiste à imposer une contrainte constante à l’échantillon (par exemple en lui suspendant un poids à une extrémité) et à mesurer l’allongement en fonction du temps.

Mécanique des mileux continus, J. Douin

On retrouve en général 3 stades de déformation :

  • (A-B) fluage primaire : phase de rodage correspondant à la réorganisation interne du matériau.
  • (B-C) fluage secondaire: la vitesse est stationnaire. C’est le domaine d’utilisation des pièces mécaniques. C’est un stade que l’on cherche à étendre tout en diminuant la vitesse.
  • (C-D) fluage tertiaire : la vitesse augmente et conduit à la rupture.

En général, les conditions d’utilisation normales des pièces mécaniques, les vitesses de déformation sont très faibles. Tester ces pièces jusqu’à la rupture conduirait à des tests de plusieurs jours voire plusieurs années ! On effectue donc des tests dits accélérés équivalents aux conditions d’utilisation mais avec des niveaux de contraintes plus élevées.

Jusqu’à présent, nous avons omis de parler de l’effet de la température sur les courbes d’essais mécaniques. Simplement, on peut comprendre qu’un matériau se déformera plus facilement si il est soumis à des contraintes plus grandes mais également si la température est plus grande (pensez aux forgerons qui travaillent les métaux à haute température). Remarquez par exemple, que lorsque la température diminue, la résistance (augmentation de la limite d’élasticité), et une diminution de l’allongement à la rupture (les courbes sont artificiellement décalées). Le matériau se fragilise. Inversement, la limite d’élasticité diminue lorsque la température augmente. Ceci indique comme nous le verrons que la plupart des mécanismes élémentaires responsables de la plasticité sont dits « thermiquement activés ».

Mécanique des mileux continus, J. Douin

Notons qu’il existe beaucoup d’autres types d’essais mécaniques. Citons par exemple les essais de déformations cycliques (essais de fatigue), en flexion, ou sous pression de confinement (pour reproduire ce que subissent les roches du manteau terrestre par exemple).